Lettres à Jean-Jacques Richard, joaillier français à la retraite. ( 11 avril 2009 )

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Bonjour Jean-Jacques,

Par internet, j’ai commandé plusieurs exemplaires du numéro sur la bijouterie et l’orfèvrerie de la revue Nos Ancêtres, pour mon fils Pierre, pour deux de mes belles amies, Sanae et Danielle, et moi-même, ainsi que d’autres numéros pour deux de mes bons amis, Henri céramiste et Marc-André notaire. Je vous remercie beaucoup de m’avoir fait connaître cette revue.

Je vais maintenant répondre plus longuement à votre article et commenter cette situation de la (haute) bijouterie-joaillerie, qui n’est d’ailleurs pas le seul domaine artisanal qui soit tombé dans le piège des investisseurs et du capitalisme sauvage.

Je tiens ici à dire, que je suis pour une totale liberté des individus à faire et à produire tout ce qu’ils désirent, de la manière et de la méthode qu’ils désirent, dans le style et dans l’esprit qu’ils désirent, et que par contre, je ne tolère aucune forme de violence ou de destruction de quelque objet que ce soit. Question de respect tout simplement.

En France, l’expression  » poinçon de maître  » portait en elle toute une tradition, tout un respect pour le maître, pour celui qui prenait la responsabilité du travail bien fait dans son atelier.

Les nouvelles expressions  » poinçon de fabricant  » (pourquoi pas  » du  » ? probablement pour permettre de faire de la sous-traitance à l’étranger ?) Et maintenant celle-ci  » poinçon de responsabilité  » (devons-nous comprendre comme responsable, le conseil d’administration qui, pour le bénéfice des actionnaires, déterminera les paramètres des créations, des coûts et de la diffusion sans oublier le support médiatique bien ficelé à l’avance ?).

En effet Jean-Jacques, il y a de quoi crier sur internet, et je pense qu’il est déjà trop tard pour les milieux de la haute-joaillerie, qui pour la plupart, sinon pour presque toutes les grandes maisons, ont cédés aux investisseurs, dont il n’est pas utile de donner les noms ici. Nous les voyons à la télévision, avec de belles gonzesses, et des pseudo-créateurs ou créatrices. Le temps d’un petit discours, un verre à la main, pour souligner ce beau lancement de la nouvelle collection.

Il aurait été si simple, que les familles propriétaires de si grandes maisons se tiennent debout, et que malgré les difficultés, car ce domaine de la bijouterie-joaillerie n’est pas facile financièrement parlant, persistent et continuent la tradition du travail fait entièrement à la main sans aucun moulage.

Nous y voilà, j’ai prononcé le mot, l’expression, pour moi maudite, » moulage ou cire perdue  » car depuis la fin de la dernière guerre mondiale, c’est cette méthode de production qui s’est répandue majoritairement comme une trainée de poudre dans toute la profession.

Pour les lecteurs qui ne seraient pas de la profession, le  » travail fait entièrement à la main  », consiste d’abord à laminer de petits lingots de métaux précieux à l’aide d’un laminoir composé de deux rouleaux d’acier tournant en sens inverse, produisant ainsi des plaques de métal d’épaisseur parfaitement régulière, plus dense et d’une grande solidité grâce à l’effort mécanique ainsi reçu. Ensuite ces plaques seront découpées à la scie, limées à la main, pliées, ajustées et soudées toujours à la main, pour donner sans limites, des bijoux solides conformes aux dessins de l’artisan, précis, magnifiques et durables.

Le  » moulage ou cire perdue  » est une méthode, originaire de la dentisterie moderne d’après guerre, consistant à mouler tout type de prototype avec des caoutchouc ou des élastomères, pour ensuite à l’aide de ces moules produire un nombre quasi infini de  » cires  » qui seront placées dans des cylindres de plâtres, qui une fois chauffés , la cire ayant complètement été brulée, permettra au métal précieux en fusion de se répandre à l’intérieur du plâtre et de prendre le volume de la cire disparue. Ainsi dans le monde entier, pourront être diffusés par centaines des bijoux publicisés (et créés pour vous ) dans mille et une revues mensuelles avec la marque bien visible !!!!

Mais voila, cette méthode n’est pas sans inconvenant.

Le métal refroidi dans le plâtre n’a lui reçu aucune force mécanique, il n’est pas très fort, ni très cohérant, si il devait être étiré, plié ou tordu, pour redressement, mise à grandeur ou lors d’un simple accident, ce métal n’en aura pas pour longtemps avant de laisser apparaître des craquelures.

Sans compter les fréquentes bulles d’air qui font parfois ressembler ces fontes à des éponges, et qui obligent des ouvriers à les remplir de soudure pour les masquer et éviter ainsi qu’elles n’apparaissent lors du polissage, ce qui bien sûr ne serait pas joli du tout. Certaines bulles parfois bien cachées rendront le bijou fragile et après la vente, ce sera au client d’assumer les frais de réparation, et parfois même il s’en sentira malheureusement responsable.

Il faut aussi penser à la rétreinte, ce phénomène se produisant lors du refroidissement des fontes, qui diminuent de volume et pas toujours de manière uniforme, ainsi des pierres ayant été ajustées sur des cires, ne se retrouvent pas toujours avec des sertissures si bien ajustées à leurs formes.

Je vous fais grâce des nombreux autres petits problèmes propre à la fonte, ceux qui malheureusement y sont confrontés tous les jours ne les connaissent que trop bien.

Mais il est d’autres conséquences tout aussi graves que pour la qualité des bijoux eux-mêmes.

Ainsi les milieux de formation se sont eux aussi pliés à cette méthode du moulage et pire maintenant ils y ajoutent le dessin assisté par ordinateur. Et il tourne le bijou et tourne encore, donnant ainsi l’impression de travailler. Et ce beau joujou sera couplé à machine à faire les cires, et voilà la mort des ouvriers, des artisans, des passionnées qui jadis faisaient grande réputation à tout ce milieu.

De nombreuses techniques de bijouterie et de joaillerie, étant de moins en moins pratiquées par le milieu, disparaissent ainsi des cours et de moins en moins de professeurs pourront passer ce relais aux plus jeunes, la nouvelle technologie au service de l’industrie les en rendant avec le temps de moins en moins aptes.
Le moulage devait démocratiser la bijouterie, il en a surtout baissé la qualité. La création en a elle aussi été affectée, car les  » créateurs  » savent que certains éléments ne sortiront pas bien en moulage, alors ils s’adaptent, cèdent et modifient leurs projets car il y a aussi le conseil d’administration qui veille…..

Le nombre d’artisans à Paris; bijoutiers, joailliers, sertisseurs, lapidaires, diamantaires, chaînistes, graveurs, ciseleurs, émailleurs, polisseuses, etc, n’a cessé de diminuer fortement depuis des décennies. En produisant en masse par le moulage et de plus en plus souvent à l’étranger, il est facile de comprendre cette diminution. Mauvais pour l’emploi. En conséquence, il sera alors plus difficile à des jeunes de trouver des centres de formation pour accueillir leurs espoirs légitimes de concrétiser leurs rêves d’artisans et de créations.

Car, il ne faut pas se leurrer, l’idée que  » nous  » aurons toujours les bonnes idées et que  » d’autres  » à l’étranger, seront chargés de produire et de sous-produire n’aura qu’un temps. Je n’aime pas, je déteste même, que l’on puisse dire que certains peuples ne seraient pas doués pour la création, alors que des millénaires de leurs histoires nous prouvent le contraire. Que diable, cherchons un peu dans les musées, dans les livres et sur internet, nous nous convaincrons facilement qu’ils ont réalisés des merveilles par milliers depuis des siècles. J’allais dire amen….

Je vous fais le pari qu’un jour, des maisons étrangères à la France, s’installeront sur la Place Vendôme ou tout près et auront comme fierté de tout produire entièrement à la main et sans aucun moulage, et de plus accueilleront avec plaisir toutes les demandes, les plus simples aussi, et dessineront, pour qui le voudra bien, et produiront des œuvres uniques de haute qualité.

Ces maisons auront du succès.

Il est peut être encore temps de remettre à l’honneur le travail respectueux de la matière et de la clientèle.

Cela s’est déjà produit dans le domaine automobile….

Il faut donc que tous ceux qui savent, tous ceux qui aiment, tous ceux qui peuvent dire et enseigner ce métier de manière traditionnelle, parlent et écrivent sur internet, et ouvrent leurs ateliers à tous ces jeunes qui dans le monde entier ont encore cette belle envie de créer de l’authentique en travaillant entièrement à la main et sans aucun moulage.

Le travail fait entièrement à la main, si on prend le temps de s’y consacrer réellement toute sa vie durant, permets par ses techniques et ses méthodes millénaires, de tout produire sans aucune contrainte à l’imaginaire, de produire aujourd’hui les classiques de demain, cette liberté est et sera toujours source de bonheur, source de fierté à partager avec ses semblables clients ou amis, ce qui revient souvent au même.

Du temps…. oui je sais, on me parle souvent du temps qu’il faut, mais étant de statut mortel comme vous j’imagine, pourquoi aller vite ? Qui a-t-il de si urgent pour un mortel, si ce n’est que de faire des gestes qui apportent satisfactions et bonheur à long terme.
Il faut être d’un conseil d’administration pour penser autrement et ne voir que des chiffres. Je préfère voir des cœurs et des sourires d’hommes et de femmes, heureux et heureuses de recevoir l’expression de leurs sentiments tout de pierres et de métaux précieux traités avec respect et patiemment par mes outils.

Les artisans qui ont ce plaisir du travail fait entièrement à la main, dans tous les domaines et avec toutes les matières premières, le savent, ce temps qui passent, les rends encore plus compétents, plus fiers, plus efficaces et en prime plus heureux.

Laissons aux administrateurs de l’industrie dites du luxe l’obsession du pourcentage de rentabilité face à l’investissement, et prenons fièrement à bras le corps nos outils dans nos ateliers, du papier et des crayons pour écouter nos cœurs et nos esprits.

Amitiés, amours et sourires nous seront donnés en retour en plus de gagner normalement nos vies.

La crise actuelle devrait nous faire comprendre que la seule et sage révolution possible passe et passera par le fait de s’occuper de nos affaires pour s’offrir entre nous des biens qui culturellement répondront à nos besoins et rien n’empêchera le sympathique visiteur de passage de repartir avec un présent précieux de notre coin de pays pour chez lui l’offrir à sa belle.

Romantique, vieux jeux, dépassé, non, je suis un  » artisan créateur contemporain heureux  » tout simplement.

Avec le temps, les gens en auront marre de payer pour des marques qui ne voudront plus rien dire et ne seront pas  » en phase  » avec une qualité idéale, comme ces titres de la bourse qui leurs avaient promis la vie facile et le bonheur à leurs retraites.

La marque ou même le nom de l’artisan est une anecdote, ce qui compte c’est l’objet et sa qualité, c’est lui et lui seul qui est le message d’amour. En étant durable, il rappellera toujours les sentiments exprimés au moment de sa remise, il exprimera le souvenir de l’être aimé et par sa qualité fera de même pour plusieurs générations.

Votre colère, Jean-Jacques, je la partage mais par dessus tout je vous remercie du temps que vous prenez pour écrire, parler et partager avec nous toute la culture et les connaissances que vous avez de ce merveilleux métier de bijouterie-joaillerie et ne suis pas peu fier d’avoir partagé avec vous de mêmes lieux dans ce si beau Paris.

Je vous souhaite, Jean-Jacques, une belle et magnifique journée.

Respect et remerciements à mes ancêtres qui ont fait de moi ce que je suis. Je pense à vous souvent.

Lisez les excellents textes de Jean-Jacques Richard en copiant ce lien :

http://richardjeanjacques.blogspot.com/

Michel Zimmermann
Artisan Bijoutier-joaillier
Québec le 18 janvier 2009

P.S. Je vais mettre cette lettre dans mon site internet dans la section Rubrique, je pense que le contenu touchera ainsi encore plus de gens.

Merci encore, Jean-Jacques, de votre temps et de vos compétences.

Bonjour Jean-Jacques, Les pièces de haute-joaillerie sont en effet le résultat d’un travail d’équipe. Les patrons d’ateliers sous-traitant ou non, les dessinateurs, les chefs d’ateliers, les maquettistes, les fondeurs et les ''gratteurs de fonte'', les diamantaires, les lapidaires, les sertisseurs, les polisseuses (car ce sont souvent des femmes qui font le polissage) les coursiers, les secrétaires, les apprentis le savent très bien. Mais voilà le grand public, lui ne reçoit que les informations de la publicité et des médias mettant en avant scène comme créateurs, soit des noms de grandes maisons, soit des noms de créateurs qui officiellement ont créés ( pour vous mesdames) telle œuvre ou telle collection. C'est cette image que les grands maisons défendent......et je parie qu'elles gagneront.... Il est toujours étonnant de constater que monsieur et madame tout le monde ignorent complètement comment se fabriquent les pièces de haute-joaillerie. Il est triste d’ailleurs de constater à quel point de grands noms de la joaillerie se comportent de plus en plus comme tout autre entreprise fabriquant à la chaîne sous les ordres de conseils d’administration qui eux doivent rendre des comptes aux nouveaux investisseurs propriétaires. Loin de nous l’époque où, les entreprises de joailleries étaient dirigées par toute une famille avec respect et amour du métier. Maintenant ce sont les investisseurs qui imposent leurs objectifs financiers. Tout ceux qui ont collaboré à ces pièces de joaillerie ont eu l’occasion de lire des écrits ou des articles élogieux qui excluaient les véritables auteurs de ces chefs-d’œuvre. Il y a donc là, pour Thierry Berthelot une grande difficulté, car il a agit comme un ''artisan passionné et créateur'' à l’intérieur d’une grande entreprise qui depuis longtemps existe grâce à la haute compétence d’une large famille de métier. À mon avis, au bout du compte, Thierry Berthelot, amoureux de joaillerie, perdra face à ce monde d’argent et plus tard, ne gagnera que par une totale indépendance de sa part en continuant lui même comme patron en présentant au public une joaillerie originale et personnelle. Voilà pourquoi, je défend la liberté de l’artisan, qui même par une pratique plus modeste sera toujours heureux et fier de sa production, ce qui ne m’empêche pas de demeurer admiratif de ce que peut faire une petite armée d’ouvriers grandement qualifiés travaillant indirectement pour une clientèle qui a souvent besoin d’être valorisée par de grandes marques archi-médiatisées. Artisan à son compte ou ouvrier pour un patron.......au choix. La création est possible dans les deux cas, mais la libre récolte ne sera pour l’ouvrier que dans le premier cas. Belle journée Jean-Jacques Richard, Merci pour tout vos articles intéressants. Belle journée aux lecteurs de votre merveilleux site. http://richardjeanjacques.blogspot.com/ Michel Zimmermann Artisan Bijoutier-Joaillier Québec 11 avril 2009 Photo: Québec au loin, le fleuve complètement gelé, vue du côté sud du pont de l'île d'Orléans