Bijouterie-Joaillerie faite entièrement à la main sans moulage… Pourquoi ? ( 13 mars 2010 )

Text_2

Je place ce texte dans la section matière première, car cette philosophie de travail est elle aussi, et surtout devrait être une matière première de la philosophie propre au artisan se consacrant à leur métier.

ENTIÈREMENT FAITE À LA MAIN SANS AUCUN MOULAGE

Depuis la nuit des temps et ce dans toutes les civilisations, les artisans ont toujours eu comme objectif de produire des objets, qui peuvent être à l’occasion qualifiés d’œuvres d’art, avec comme premier désir de servir leurs semblables, de leurs être utiles, de leurs rendre la vie plus agréable.

De siècles en siècles, les techniques et méthodes de travail se sont sans cesse raffinées. Les styles ont évolués en fonction de l’histoire et de la géographie. Les temps de paix et les temps de guerre malheureusement ont eu aussi leurs influences.

Par des désirs de partages, de compassions et d’amour, ces ouvriers ne pouvaient que vouloir ajouter à la fonction première des aspects esthétiques tels que toujours présent dans le spectacle de la Création. Personne ne pouvant nier que notre terre et tout notre univers sont d’une richesse et de contenus les plus vastes, les plus splendides, dont nos sens ont parfois peine à en saisir toute la générosité.

S’inspirer alors de la nature ne peut qu’être la voie à suivre.

J’aimerai par ce texte, en plus d’insister sur mes motivations, vous expliquer surtout ce choix que j’ai fait depuis près de quarante ans maintenant, de produire à partir de plaques laminées des milliers de bijoux entièrement faits à la main et sans aucun moulage. La chose est très rare, mais pas nouvelle, et il vaut la peine de passer un peu de temps à mettre sur papier ou sur cet écran toutes ces raisons qui me poussent et me pousseront toujours à m’y prendre de cette manière.

Il m’arrive fréquemment d’expliquer cette méthode de travail et de me rendre compte au bout de quelques dizaines de minutes que mon interlocuteur était encore sous l’emprise de clichés, de mauvaises images et d’idées préconçues, répandus majoritairement par les médias quand ce n’est pas aussi par des artisans ignorant les meilleures pratiques, par des lieux d’enseignements dont les compétences ne cessent dramatiquement de diminuer, et parfois pire…. par de grandes maisons de joaillerie en mal de publicité et de réputations à sauvegarder.

LINGOT ET PLANÉ

Les métaux portés à haute température deviennent liquides et se refroidissent dans des formes qui leurs seront imposées. Dans cet état, les molécules composant ces métaux ou ces alliages reposent sans aucun ordre particulier. Cet état s’appelle la fonte. On peut donc parler de fonte de fer, de fonte d’aluminium tout comme on peut dire une fonte d’argent ou une fonte d’or.

L’immense majorité des bijoux vendus depuis la fin de la dernière guerre, même aussi étonnement et tristement par de très grands noms et à fort prix, sont en fait produits par le moulage. Cette méthode, vieille comme le monde, consiste à reproduire un prototype en fabricant un moule, le plus souvent aujourd’hui en caoutchouc galvanisé, qui permettra ensuite, une fois ouvert et débarrassé de l’original, de produire un grand nombre de copies en cire et ce en quantité pratiquement illimitée. Toutes ces cires, montées sur un axe central, seront alors enrobées de plâtre réfractaire, retenu lui-même dans un cylindre d’acier, qui une fois chauffé pendant quelques heures, pour que la cire se consume entièrement, laissera en son sein autant de formes négatives que de forme de bijoux en cire reçus. Il ne restera alors qu’à verser une quantité de métal précieux et de laisser le tout refroidir pour se retrouver malheureusement avec des bijoux produits en un seul geste et surtout avec des bijoux n’ayant reçus aucune force mécanique leur attribuant une solidité propre aux objets fabriqués avec des métaux laminés.

Il va sans dire que JE N’AIME ABSOLUMENT PAS cette méthode pour la fabrication de bijoux de qualité et que le but même de cet article est de promouvoir l’immense avantage de produire des bijoux entièrement faits à la main, sans aucun moulage, je dois le répéter souvent…….sachant à quel point il est difficile d’aller à contre courant…..mais aussi que chacun est libre d’utiliser les méthodes de son choix……question de liberté.

Mais je suis tenace et j’en reviens à ce premier lingot, par lequel tout commence.

Depuis la nuit des temps, les artisans avaient et ont compris que par le martelage, les métaux durcissent, se densifient, et deviennent aussi plus rigides, plus apte à résister aux divers usages auxquelles ils sont destinés. Ainsi les forgerons, les maréchaux ferrants, les orfèvres, les fabricants de monnaies et tous les artisans utilisant les métaux se sont mis à exploiter cette particularité pour améliorer la qualité et la durabilité de leurs œuvres.

Je m’amuse à souligner ici que je ne suis pour rien dans le fait que les métaux laminés soient plus fort que tout simplement fondu. Ce phénomène est naturel et si il fallait chercher un responsable de ces qualités acquises, il faudrait chercher peut être quelque part au ciel…..ce qui ne sera pas ici mon propos.

LAMINOIR et PLANÉ

Ce que pouvait faire et peut encore faire le martelage, un appareil, le laminoir, peut le faire depuis quelques siècles, plus rapidement et surtout de manière parfaitement régulière avec des largeurs déterminées et sur des longueurs sans limites.

Ainsi par le laminoir, outil formé de deux rouleaux d’acier tournants en sens inverse, le lingot sera petit à petit diminué en épaisseur, et si l’ouvrier qui lamine ce lingot diminue de plus de deux fois l’épaisseur première du lingot, il obtiendra des plaques d’une solidité nettement plus grande que la résistance première du lingot d’origine. Cela s’explique par le fait que les atomes ou les molécules du métal ou de l’alliage s’ordonnent de manière différente, on parlera alors de frittage.

La fabrication de bijoux faits entièrement à la main sans aucun moulage commence alors toujours par le laminage d’un lingot, permettant de produire ces plaques ou ce plané, matière première nécessaire et dont l’épaisseur sera déterminée en fonction de la pièce à produire.

Tous nos bijoux, produit avec la collaboration de mon fils Pierre, sans aucune exception ont donc été d’abord soit des planés ou des fils de formes diverses avant de pouvoir se retrouver en boutique prêt à la vente.

Ce métal laminé est donc plus résistant à la déformation, plus solide, mais il aura aussi une plus grande brillance, et de plus par un soucis de grande qualité à chacune des étapes, contrôlant à chacune d’elle la précision, la propreté, la netteté, le parallélisme, la beauté des courbes sans cassure, en joignant divers éléments entre eux par des soudures placées en des endroits judicieux pour augmenter la force de l’ensemble d’une création, nous avons mon fils et moi, la certitude de produire des bijoux de qualité nettement plus élevée et nettement plus précise que ce que le monde moderne offre en trop grande quantité sans se soucier de la durabilité et des déceptions qui ne manquent jamais de subvenir lorsque ne sont pas pris en compte les objectifs les plus nobles, que nous méritons pourtant tous.

DESSIN

Le dessein est un projet, une idée, un objectif de création qui pour le bijoutier-joaillier passera très souvent par le dessin. Les deux mots ont des origines communes, ce qui m’est agréable, car c’est le deuxième mot qui nait du premier, et si l’artisan accepte de s’arrêter quelques instants, de s’assoir à une table, avec ses papiers et crayons et par ses connaissances techniques, son expérience et surtout son désir de produire honnêtement pour offrir à ses contemporains des créations pleines de respect, sentiment qui pour ma part devrait partager la première place sur un podium ou il triompherait avec à sa droite l’amour et à sa gauche l’amitié, il lui viendra donc de nombreuses et belles idées, en se laissant porter par sa nature propre, exactement la même nature que celui ou celle à qui sera destiné l’œuvre, et je crois ferment qu’il ne pourra ainsi que donner naissance à de belles créations qui aideront ses semblables à se sentir heureux et immortels, ne serait-ce que le temps d’une communion par les sens impliqués et sans qu’aucun discours pompeux ne soit nécessaire…….une exposition privée et silencieuse.

Plus de paroles indispensables, uniquement de l’infini.

Mais bon, je sais……. le capitalisme se débrouille pour que ces olympiques n’aient pas lieux……dommage.

Mais les artisans sont tenaces.

LE TEMPS des VIVANTS.

L’artisan est mortel, il n’échappe pas à cette condition humaine, et c’est pour cette principale raison qu’il cherchera par tous les moyens, sans compter ce qu’il lui en coûtera d’efforts, à faire naître du merveilleux, cherchant pourquoi pas…à se prendre pour un Dieu, à faire naître des créations les plus semblables à ses rêves, et c’est pour être conforme à ses hautes aspirations qu’il ne pourra ignorer les qualités divinement acquises par le métal laminé.

La boucle sera ainsi bouclée et bien bouclée, par l’émerveillement intime de l’observation de la nature, par son inspiration, par ses intuitions et par tout ce qu’il lui aura été enseigné par les anciens, il n’aura de cesse de se considérer comme le maillon nécessaire et utile à une belle chaîne dont la longueur n’a pas réellement d’importance. Car la mort venant, il aura la certitude de se mériter un repos, la certitude aussi d’avoir laissé une trace dont la qualité sera nettement plus valorisante pour nous tous que sa longueur.

Dans la vie d’un artisan les chiffres ne sont que des outils, et parfois même sont des problèmes voir même des casse-têtes. Seules les lignes, les courbes, les volumes, les œuvres voyageront dans le temps et diront combien il a aimé sa balade ici- bas. À moi, à nous, à vous de le comprendre.

La vie est trop courte pour la passer à chercher à faire du plus vite ou du moins bien……l’artisan bijoutier-joaillier laminera alors avec bonheur car il sait que le métal laminé est plus solide, plus beau, plus régulier, et qu’avec ses outils tout sera possible, que le client son ami, pourra lui faire confiance et ne sera jamais déçu.

Quand je vois les regards amoureux d’un artisan et d’une artisane sur le petit bébé tenu dans leurs bras, je sais que cette belle histoire sans moulage se continuera, tout métier confondu.

Le statut naturel de tout être humain le matin en est un d’artisan; une journée à remplir, des outils à prendre en main et une œuvre à mettre en route, à faire naître…..avec beaucoup de plaisirs et de satisfactions.

Il faudrait alors populariser cette séquence : Outils, créations, dodo……plus conforme à notre nature et à nos aspirations élevées, que celle que la vie moderne nous a tristement imposée.

Belle journée dans l’atelier que vous avez choisi…..et soyez tenaces.

Michel Zimmermann
Artisan Bijoutier-Joaillier
Québec le 13 mars 2010